L'art et la critique... critique
Quand nous l’avons franchie
escortés par trois kagébistes
la porte en bois couinait
sur ses gonds mal huilés
avec sa hache de pompier
un brave ouvrier socialiste
s’échinait à la raboter
​
Dans ce bâtiment triste et sale
aux murs badigeonnés de blanc
tandis que l'artisan brutal
s'attaquait au battant bancal
sous les affiches de Lénine
et du Cuirassé Potemkine
nous suivions… un cheval
Entre les boules de crottin
qui parsemaient le balatum
deux palefreniers en pourpoint
nous guidaient dans le décorum
de Mosfilm dont les grands studios
ramenaient la Reine Margot
sous la lumière des projos
Voilà Paris grandeur nature
et dans le Louvre sans peintures
les cheminées brûlent du pin
les livres ont l’odeur du velin
dans ce décor bien éclairé
par des bougies, des chandeliers
tout est criant de vérité
Partout où le regard se pose
le goût du détail est frappant
du cuir, du velours, de l’argent
des odeurs de résine et de rose
des fauteuils et des baldaquins
des coupes remplies de sequins
des tentures, des parements
​
Les maisons ont des escaliers
des portes ferrées, entrouvertes
du papier huilé aux fenêtres
des balcons en bois travaillé
et sous les murs à colombage
les ruelles étroites et pavées
sont jonchées de paille sauvage
La télévision soviétique
nous présente la fine fleur
des artistans, des prolétaires
nous sommes conquis, fascinés
par ce décor si authentique
qui nous montre le savoir-faire
des artistes et des ingénieurs
​
Les menuisiers sont au travail
les décorateurs font merveille
les charpentiers sont équipés
de scies, de rabots, de tenailles
les électros font du soleil
les pavés se teignent de sang
Saint-Barthélémy nous attend
​
Et pendant que nous regardons
le metteur en scène et sa clique
réaliser leur scénario...
loin des regards et des critiques
le mercenaire bûcheron
fait honneur à la dialectique
en cassant la porte en morceaux.
Sous la statue de l’ouvrier et de la belle kolkosienne
nous venions en observateurs vérifier que le réalisme était encore socialiste...