Africa spleen
Je me tenais debout sous un soleil blanchâtre
La plaine s’étendait à perte de regard
la poussière levait sous le vent ses nuages
quand le ciel était pur on voyait des busards
survoler la savane au temps de l’hivernage
Sur le lac aussi grand que la mer, aussi bleu
des frissons secouaient parfois l’onde immobile
sur les collines vertes juste au dessous des cieux
les gazelles fuyaient sur leurs pattes graciles
Aux sources chaudes dans les vieilles forêts
je me baignais sous la fraîche couronne
des faux palmiers aux troncs nus et dressés
vers la voûte céleste qui flamboie et rayonne
Il y avait dans l’air je ne sais quelle odeur
de bois sec, d’eau croupie, d’herbe rase
de sueur, ce parfum entêtant de chaleur
que l’aurore promet et le zénith embrase
Si j’étais en ce temps à l’autre bout du monde
si je m’aventurais sans savoir où j’allais
c’est parce que je suivais le hasard dans sa ronde
et que j’étais légère et me laissais porter
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J’avoue, j’aurais dû mieux apprendre
ouvrir les yeux, longuement regarder
écouter avec attention, mieux entendre
être présente à tout plutôt que me hâter
​
L’ambition était vaste et vaine ma jeunesse
avancer vers le soir sans faiblir, vaillamment
semblait dicter le but, enseigner la sagesse
quand il aurait fallu respirer lentement
​
Je n’avais pas compris que tout ici mentait
dans les visages sombres, au nez droit ou camus
je ne voyais que rire et bonté, la haine se cachait
au fond des grands yeux noirs arrondis ou fendus
Je ne m’expliquais rien de ce que je voyais
je ne reconnaissais ni l’arbre ni l’écorce
et je déduisais tout d’improbables idées
dont je n’avais appris ni le poids ni la force
J’avançais donc. Et bien droite et bien fière
le nez levé la nuit vers les étoiles
le matin me trouvait endormie sur la terre
et l’âme rassasiée par un festin frugal
Je n’ai pas rencontré ni là-bas ni ailleurs
ni dans d’autres pays, ni sous aucun climat
de quoi tromper mes rêves ou figer mon ardeur
mais c’est que je voulais ce qui n’existe pas
Il est temps de rentrer, j’ai assez traversé
de chemins cahoteux, de zones frontalières
mon coeur est fatigué, il est temps de trouver
un port où s’abriter, une anse hospitalière
Je voudrais maintenant en abordant le soir
une contrée plus douce, un paisible vallon
où je pourrais sans peur aviver ma mémoire
et m’asseoir consolée au seuil d’une maison
​
Car je me tiens debout où je ne peux combattre