
C’était chez nous, chez moi.
Dans cette maison grise aux façades austères
les jardins se laissaient aller vers la rivière
l’escalier se cachait, envahi par le lierre
et le jour se fanait sous les roses trémières
C’était un endroit fait d’étranges proportions
de tours qui s’élançaient et de curieux pignons
de fenêtres en ogive et de petits balcons
alignés deux par deux sous un large fronton
Les chambres parfumées d’iris et de lilas
étouffaient sous la blancheur des draps
les tapis et la laine écrasaient l’organza
les rideaux de velours masquaient le taffetas
Les veillées se chauffaient au feu des souvenirs
sur les murs enfumés l’aube venait jaunir
et les matins blafards apprenaient à mentir
à nos coeurs qui cherchaient à lire l’avenir
​
Nous aimions croire alors au pouvoir de l’oubli
nous défaire le jour des chagrins de la nuit
arrêter la pendule, éteindre les bougies
des rêves et du sommeil refaire le récit
​
Il y avait encore des rires en abondance
de fragiles éclats de bonheur et d’enfance
et des moments si pleins d’extravagance
que l’on poussait les meubles pour la danse
Quand les jupons tournaient sur le parquet ciré
ma main droite, légère, se posait sur l’archet
tes doigts caressaient doucement le clavier
l’émotion jaillissait sous les cordes et chantait
Le monde semblait jeune, doux, il était tendre
il était là pour nous, nous n’avions qu’à le prendre
mais nous le dédaignions, ignorants à comprendre
que la vie et l’amour ne peuvent pas attendre
Il y avait pourtant des promesses de joie
des moments de bonheur, de fragiles émois
avant que tu ne partes, avant qu’il fasse froid
c’était le jour d’avant, c’est hier. Autrefois.
Mais ce n’est plus chez moi.

Arsenic & vieilles dentelles
