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Achromie

Pendant la guerre froide, la ville des soviets

nous paraissait en noir et blanc, triste et muette

sous la neige boueuse tout semblait gris et sale

les ponts, les avenues, le Kremlin, l'arsenal...

L'improbable glasnost nous ouvrit grand les portes

de la troisième Rome affranchie des cohortes

nous lèverions les yeux au ciel vers les sept soeurs

enfin, nous allions voir cette ville en couleurs

​

mais la neige cachait sous son manteau grisâtre

la palette déteinte et tout restait maussade

un monde sans nuances tout recouvert de plâtre 

de poussière, de crasse au sol, sur les façades

 

c’était donc vrai ce qu’on voyait sur les images

derrière le rideau de fer le monde se taisait  

figé sous un ciel de fumées sinistre paysage

un univers coiffé d’une chape plombée

 

c’était le début de l’hiver moscovite

les babouchkas emmaillotées de laine

les mains rougies dans les mitaines

faisaient la queue pour remplir leur marmite

 

c’était pire qu’avant, même le pain manquait 

les galeries du GUM sous leurs tiges d’acier

présentaient des étals vides de marchandises

pour vivre, pour manger, il fallait des devises 

​

les Bérioska étaient prises d’assaut

elles ravitaillaient tout le politburo

tandis que dans Pavlov Posad

on se croyait en guerre, à Stalingrad 

​

dans notre machine à loger excentrée

– douzième étage, ascenseur détraqué –

les fenêtres restaient ouvertes sur la nuit

l’immeuble surchauffait : le gaz était gratuit

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peu de voitures circulaient dans l’Arbat

de petites Trabant, d’officielles Volga 

dans leur métro-musée les prolétaires

empruntaient les larges avenues sous terre

 

et si l’on profitait du marbre et des vitraux 

des lustres de cristal, des riches mosaïques

à la gloire des dieux, des héros soviétiques

aucun mendiant ne sollicitait notre écot  

 

bonjour la Place Rouge, le tombeau de Lénine

le rouble sans valeur, la vodka interdite 

les russes détournant les diktats socialistes

portaient des toasts à la mémoire de Staline

 

le mur était tombé, à l’est un nouveau maître

parlait de liberté à Marguerite, à la Russie

et avec Sakharov libérait tous les traîtres 

des quinze républiques de la mère patrie

 

un pays s’éveillait de sa longue torpeur

exsangue, titubant, fourbu, endolori

son dos courbé le faisant plus petit

mais une fois encore il sortirait vainqueur

au tsar régnant c’est tout ce qui importe

et la ville livrée aux flammes de l’enfer

rejettera encore toutes ses âmes mortes 

par dessus les rideaux d'argent, d'or ou de fer…

2018
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© 2018 by catherine etchepare 

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