Les Madames
Madame de Sévigné
René Gruau
Malgré des lettres par milliers
J’ai loupé ma correspondance
Je croyais pouvoir m’exprimer
En écrivant en abondance
En mélangeant plume et stylet
Je me suis trompée de cadence
S’il lisait ma prose et mes vers
Il n’aimait pas la surenchère
De rimes, d’adjectifs, d’adverbes
Il trouvait mes couplets acerbes
Il n’aimait pas mes moqueries
Raillait mon style et mes écrits
Si je pensais l’impressionner
En déclinant des synonymes
Ses commentaires ont éreinté
Mes plus élégantes maximes
J’ai dû déchirer mes brouillons
Jeter mes meilleures chansons
Pourtant il n’y connaissait rien
Cet ignorant, ce béotien
Il prétendait à la critique
En méprisant le dictionnaire
Et voulait établir des liens
En négligeant la sémantique
Il était plus niais que méchant
Assez stupide et arrogant
Pas très finaud, un peu crétin
Un rien pervers et cabotin
Mais beau si vous saviez
Beau à pleurer et je l’aimais
Vraiment Madame de Sévigné
S’amouracher d’un illettré !
Sachant à peine lire, écrire
Comment pouvait-il vous séduire ?