Pays de cocagne
Ce pays où tu nous emmènes – dis moi –
a-t-il un nom, trouve-t-on ses coordonnées
sur les cartes du monde – est-il répertorié
dans les atlas, dans les bibliothèques
connaît-on ses contours, sa géographie
son histoire a-t-elle été écrite ou racontée
a t-il ses héros, ses drames, ses défaites
sait-on quel est son destin, sa fortune
ses bienfaits, ses fastes, sa beauté
peut-on compter sur son courage, son génie
a-t-il en abondance de précieuses richesses
des plaines, des vallées, des à pics enneigés
des océans, des dunes, des steppes infinies
ses cités sont-elles couronnées de dômes
d’édifices glorieux, de terrasses fleuries
la lune se reflète-t-elle sur ses lacs
et le soleil levant frise-t-il ses murailles
Ce pays où tu nous emmènes – dis moi –
est-il digne de nous, est-il fait de nos rêves
de l’étoffe des songes que nous avons tissé
a-t-il de nos enfances la douceur, la passion
sait-il chasser les peurs, repousser les chagrins
peut-on croire à sa voix, connaître son ardeur
as-tu compris ses doutes, écouté ses silences
ses soupirs t’ont-ils pris dans le vent des regrets
as-tu séché tes larmes sous le souffle brûlant
de ses étés d’azur, de ses lourdes chaleurs
peux-tu compter sur ses pluies de printemps
sur ses sources cachées, sur l’eau de ses glaciers
l’or de ses frondaisons flamboie-t-il en automne
et le givre fait-il parure à ses forêts
entends-tu dans ses nuits des appels, des abois
des cris d’oiseau, des feulements, des râles
et sortant du sommeil le souvenir d’un rire ?
Ce pays où tu nous emmènes – dis moi –
est-il libre, joyeux, ouvre-t-il ses frontières
aux âmes lasses, errantes, tourmentées
sait-il leur apporter la confiance, la paix
et nous – pauvres de nous – si forts et si légers
tomberons-nous, vaincus, avant de le trouver
saurons-nous au matin qui réclame son dû
sourire et nous aimer, serons-nous éveillés
tendresse et rires et plaisir confondus
saurons-nous commencer ailleurs
ce qu’ici, ce qu’hier, nous n’avons pas su faire
le soir descendra-t-il comme une ombre bleuâtre
sur les nuages en feu, les vapeurs du couchant
et ce soleil voilé qui rougit tout là-bas
qui s’en va doucement vers un autre destin
vers ce nouveau matin que nous ne verrons pas
emporte-t-il les rêves que nous avons perdu ?