Duetto
Son oreille parfaite ayant trouvé le la
elle se tenait droite et ses yeux regardaient
fixement le parterre qu’elle ne voyait pas
cherchaient-ils le fauteuil où j’étais installé ?
Son bras s’arrondissait, elle levait l’archet
elle allait s’élancer tout au bord de la scène
son menton délicat posé près du cordier
elle fermait les yeux, sa bouche s’entrouvrait
ses petits doigts placés sur la touche d’ébène
son poignet si léger tirait, puis sautillait
Son corps accompagnait d’un souple mouvement
sa main gauche pincée sur la corde de ré
– sa main droite levée reprenant son élan –
elle frôlait la table, soudain glissait dessus
son regard se perdait en suivant les aigus
qui montaient vers le ciel avec le démanché
Quand elle disputait à l’orchestre sa voix
au delà des bassons, des flûtes, du hautbois
le piano et les cuivres soulevaient sa passion
vers les cordes plus graves et vers les percussions
et quand le mouvement amorçait son final
elle semblait voler sur l’éclat des cymbales
Je me mettais debout, j’avais le coeur battant
et je l’applaudissais à rompre les tympans
elle me souriait – l’instrument tête en bas –
son buste se pliait, elle ouvrait grand les bras
et l’archet s’agitait au-dessus du plancher
tandis qu’elle baissait le cou et saluait
​
Son ardeur était mienne, je l’avais en partage
prise à mes propres songes, retenue en otage
le même sang c’est vrai, s’écoulait dans nos veines
et la jeunesse en moi s’accordait à la sienne
parce que j’étais son père, qu’elle était mon enfant
et que mon coeur l’aimait d’un fier attachement
Âme soeur de mon âme, ma jeune musicienne
sous ses doigts se fermaient les blessures anciennes
elle était vive, douce et me rendait heureux
je voyais l’avenir resplendir dans ses yeux
porteur d’une promesse qui brûlait en secret
telle une flamme pure dans mon coeur entêté
​
Sa vie s’est engagée sur un autre chemin
elle a fermé l’étui sur son sceptre de reine
elle ne sera jamais – ce n’est pas son destin –
premier violon solo. Et cela me fait peine.