Âme en peine
Elle porte des voiles qui l’habillent de brume
ses yeux qui ne voient plus que des ombres feutrées
se posent au hasard et cherchent des indices
dans les vases fragiles il y a encore des roses
leurs corolles éclatées se penchent lourdement
vers le vernis des tables écaillé par le temps
mais si elles avaient eu des épines autrefois
il y a bien longtemps qu’elles ne piquent plus
elle s’en étonne un peu quand elle les effleure
car elles s’y blessait du temps qu’elle vivait
Comme il est devenu sombre ce corridor
sous son papier déteint, ses galons défraîchis
ses plinthes lézardées, ses moulures fendues
du temps où le soleil se levait le matin
et que le jour filtrait à travers les rideaux
les murs avaient été plus pimpants, colorés
avant que ne se ferment les portes et les volets
que l’escalier ne grince et que le parquet pleure
avant que tout se soit lentement obscurci
Quand de sa main légère elle touche le bois
un parfum lui revient, odeur de cire douce
dont elle caressait les meubles qu’elle aimait
tous ces gestes perdus, si souvent accomplis
pour faire étinceler les lustres et les vitrines
et les guerres menées contre la désuétude
qui savait quels efforts il fallait déployer
pour repousser la nuit, accueillir la journée
qui s’était inquiété de ces pauvres devoirs
Ceux qui vivaient ici pourtant semblaient s’y plaire
chacun s’abandonnait aux douceurs du foyer
la bouilloire chantait sur le fourneau lustré
tous réclamaient leur dû, attentions, déférence
aux heures des repas ils venaient insouciants
se nourrir à sa table d’un amour silencieux
ils dormaient dans les lits dont elle parfumait
d’un sachet de lavande les draps et l’oreiller
sans jamais un merci, sans se montrer heureux
Mais les vaines promesses que son coeur espérait
s’effacent dans la nuit, la lumière s’effondre
au seuil de cette chambre où l’amour se faisait
dans le noir, prudemment, sans serments échangés
personne ne sait plus la couleur de ses yeux
sa peau, ses lèvres ont perdu leur éclat
et le son de sa voix, elle-même l’oublie
alors pour être sûre que l’air porte ses cris
elle frappe les murs. Elle hante sa maison.