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Monsieur Photo-reporter

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Pour Jacques-Marie

Je me souviens de ses images

​

Cet homme-là voyait le monde à sa manière

il regardait la vie à travers un grand angulaire

sa vision déformée happait la terre entière

il poursuivait dans le ciel des nuages étonnants

perplexe, je me demandais ce qu’il voyait dedans

quand il cherchait à suivre leur course dans les airs

 

Je me souviens de ses manies

 

Il aimait les jeans délavés et les gilets à poches 

les lunettes stylées d’aviateur aux verres en miroir

les bottes de cow-boy au bout pointu comme un rasoir 

les appareils photo au cou sortis de leur sacoche

il voulait dégainer plus vite que son ombre

vite attraper l’image, la saisir sans encombre

Je me souviens de ses passions

 

Le soir, jusque tard dans la nuit, enfermé au labo

sous la lumière rouge glissant avec douceur

la chère pellicule dans son agrandisseur

sous la boîte à lumière le beau papier photo

dans les bains agités l’image en devenir

et séchant sur la corde à linge un souvenir

 

Je me souviens de ses départs

​

La vieille Coccinelle coincée près du trottoir

le coffre avant ouvert, les sacs à l'avenant

la cartouche de clopes avec le pack de bières

flash, posemètre, films, tout le foutoir

le matériel rangé sur la banquette arrière

et lui, seul à l’avant, la main sur le volant 

 

Je me souviens de ses extravagances

 

Il portait la moustache et fumait des camels 

ses cheveux raides et longs tombaient sur ses épaules

il était mince, nerveux et beau comme un rebelle

nonchalant et taiseux il gardait le contrôle

la route le tentait et comme un criminel

dès qu’il avait trois sous il se faisait la belle

 

Je me souviens de ses lubies

 

Cours camarade, le vieux monde est derrière toi

il prônait la révolution, voulait vivre hors-la-loi

en se privant de gloire il assumait ses choix

il préférait bosser de nuit dans un studio

plutôt que de céder à un canard boiteux

ses meilleures photos, ce qu'il faisait de mieux

​

​Il écoutait du rock’n roll et rêvait d’Amérique

il admirait Gilles Caron, Robert Capa

de nous deux c’était lui l’artiste, le héros

c’est lui qui devait  traverser l’atlantique

je me moquais pas mal d’être sur la photo

pourtant un jour c’est moi qui suis partie là-bas

​

Je me souviens qu'il n'en revenait pas

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